• Surcharge de travail : comment réagir ?

    Surcharge de travail : comment réagir ?Article paru sur https://www.psychologies.com/ le 14 janvier 2022 par Margaux Rambert

    Semaines et horaires à rallonge, dossiers qui s’empilent sans pouvoir les traiter, temps professionnel qui vient empiéter sur le temps personnel… La surcharge de travail est néfaste pour la santé mentale des salariés mais aussi la performance des entreprises. Les conseils d’ Adrien Chignard, psychologue du travail et fondateur de Sens et Cohérence, pour y faire face et surtout, la prévenir.

     

     

    Surcharge de travail : comment réagir

    Difficile souvent d’aborder la question de la surcharge de travail, comment s’y prendre ?

    Adrien Chignard : La charge de travail est un facteur fleuve. Son débit va dépendre de la somme de ses affluents. Il est nécessaire d’aller à sa source en comprenant les facteurs qui vont l’intensifier. Si on va à l’aéroport et qu’on nous dit que notre valise est trop lourde, on ne va pas la jeter, on va l’ouvrir et en enlever les composants les plus lourds. Pour la charge de travail, c’est la même chose. Face à des problèmes de surcharge, il est important de comprendre les facteurs relatifs aux conditions de travail, de risques psychosociaux, de stress, qui concourent à l’augmentation de cette charge. Par exemple, mon rôle est opaque, je ne sais pas ce qu’on attend de moi, sentiment de surcharge. Mon manager me soutient peu, sentiment de surcharge. Je ne suis pas assez reconnu, sentiment de surcharge. Le changement n’est pas accompagné, sentiment de surcharge. Il existe une diversité des sources possibles et s’attaquer frontalement et quantitativement à la charge est impossible. C’est la raison pour laquelle il va falloir comprendre les déterminants qui la précipitent. Et comprendre ce que sont les affluents pour réduire le débit du fleuve.

    Souvent, quand en entreprise sont évoqués les problèmes de surcharge de travail, les directions répondent qu’elles ne veulent pas entendre parler de ressources supplémentaires…

    Adrien Chignard : On ne peut pas désirer travailler sur la surcharge de travail en posant le tabou des ressources. C’est comme si on disait « j’ai envie de maigrir sans revoir mon régime alimentaire », c’est de la pensée magique. Les ressources ne sont pas qu’humaines. Si on prend 40 plombiers pour faire de la pâtisserie, on va se rendre compte que ce n’est pas le nombre de plombiers qui va changer les choses mais la compétence nécessaire à l’exercice du métier. Il y a la question des ressources humaines, de leur compétence, mais aussi celle des ressources techniques, logicielles, budgétaires et on l’oublie souvent, celle des ressources d’organisation par exemple, la délégation de pouvoir. Dans certaines entreprises, les salariés me disent qu’ils croulent sous le boulot. Le pouvoir est tellement hypercentralisé tout en haut qu’il faut que le patron signe un parafeur avec 400 demandes d’achats dont certaines à 150 euros. Alors que si on donne l’autorisation aux échelons subalternes de signer à 1 000 euros par exemple, mécaniquement, cela donnera la possibilité de faire face à cet entonnoir de charge qui sclérose toute l’organisation du côté du manager. Les entonnoirs, les bouchons décisionnels génèrent de la charge en cascade. Traiter la question de la charge nécessite donc de questionner la façon de fonctionner collectivement. 

    Dans de nombreuses entreprises, on voit la multiplication d’indicateurs censés mesurer la surcharge de travail, qu’en penser ?

    Adrien Chignard : La question n’est pas de caractériser au millimètre près la surcharge, on s’en moque qu’elle soit rouge carmin, rouge grenat, rouge cerise, si c’est rouge, il faut y aller. Tout le temps qu’on perd à essayer d’hypercaractériser le volume de surcharge vécue, c’est un temps qui ne fait qu’alimenter le manque de soutien organisationnel car pendant qu’on fait ça, on ne soutient pas les équipes. Les KPI (key performance indicator) et autres indicateurs ne servent qu’à indiquer. Imaginez une autoroute avec des indicateurs tous les 10 mètres, ça serait très perturbant. L’inflation d’indicateurs finit par générer une perturbation dans la prise de décision. Le cerveau humain n’est pas en capacité de prendre en considération un nombre de paramètres gigantesque. Il s’agit de s’intéresser à des indicateurs limités. Par exemple, le nombre de postes vacants par équipe, ça c’est très intéressant. Si sur une équipe de 200 personnes, on a trente postes non pourvus, il y a quelque chose à regarder, c’est sûr.

    Quels sont les écueils à éviter quand on veut gérer une problématique de surcharge de travail ?

    Adrien Chignard : Trop souvent, lorsqu’il y a de la surcharge, on demande des reportings. On répond par le plus. De plus en plus de salariés disent qu’ils passent plus de temps à justifier ce qu’ils font plutôt qu’à faire. On a des problèmes de surcharge dans de nombreux endroits et on y répond par une charge administrative et de contrôle additionnelle avec une sous-évaluation du temps nécessaire à cette dernière. Ca n’a jamais pris 5 minutes ! Une autre idée reçue est malheureusement commune : une heure de travail égal une heure de travail. On a l’impression que face à la charge, il faut travailler plus, et encore plus, en considérant que si les gens travaillaient un peu plus, la charge serait un peu atténuée. Mais à partir d’un moment, notre vigilance baisse et notre capacité à prendre de la charge et à l’absorber est limitée. C’est comme une éponge : au bout d’un moment, elle ne va plus absorber et l’eau va déborder de tous les côtés. On néglige la dimension de fatigabilité qui est propre à l’individu : plus on répond à la charge par le nombre d’heures, plus on altère la vigilance, plus on commet des erreurs, plus on rajoute de la charge pour résorber des erreurs commises.

    Quelles sont les conséquences de la surcharge de travail ?

    Adrien Chignard : Pour les salariés, les troubles psychosociaux. Pour l’employeur, une destruction de la performance, des conflits sociaux, de l’absentéisme, du turn-over. Parce qu’une surcharge de travail qui est durable, c’est un précipitant du burn-out, de la détresse psychologique. On se trouve alors confronté à une image de celui qui ne réussit pas à faire et être régulièrement dans une situation d’échec, cela finit par engendrer une dévalorisation de soi, une baisse de l’estime de soi et in fine, des états dépressifs majeurs. La non prise en considération de la surcharge durable est pour le salarié, comme l’entreprise, une perte.

    Que faire alors face à la surcharge au travail ?

    Adrien Chignard : Il ne s’agit pas de faire plus - ou moins -, mais de faire un peu mieux et de regarder dans le quotidien des équipes toutes les tâches qui vont générer du surtravail. Ce sont les activités demandées par l’entreprise ou l’activité qui ne créent pas de valeur supplémentaire mais qui prennent du temps. On ne traite également la charge de travail qu’au plus près de l’activité réelle. Il s’agit d’aller rencontrer les équipes au plus près de ce qu’elles font réellement : les facteurs de surcharge d’une équipe de journalistes ne sont pas les mêmes que ceux d’une équipe de commerciaux, de marketing… Il s’agit de comprendre ce qui, dans l’activité spécifique à chaque équipe, va engendrer des problématiques. C’est la raison pour laquelle on ne traite jamais la charge globalement, mais dans telle équipe de telle entreprise. On ne travaille que sur les mêmes unités de travail, des collectifs sur lesquels pèsent les mêmes contraintes professionnelles. Et pour y arriver, il faut aussi écouter les différents canaux de remontée : le service santé au travail, les instances représentatives du personnel (IRP), la fonction RH. 

    Un discours que les salariés entendent beaucoup dans les entreprises en cas de surcharge de travail est le suivant : « vous n’avez qu’à enlever des choses qui ne servent à rien »…

    Adrien Chignard : C’est intéressant car la perception de l’utilité n’est pas forcément la même en fonction de là d’où on regarde. Une direction peut penser que certaines activités d’une équipe ne sont pas intéressantes mais si elles génèrent du plaisir, de la satisfaction et donc de la motivation dans un 2nd temps, il est obligatoire d’être dans une logique de concessions mutuelles. On ne trouve jamais un consensus total par rapport aux questions de surcharge mais on peut au moins trouver une forme de consentement réciproque sur ce qui peut générer du plaisir. Difficile de demander à ses équipes de faire des concessions et encore des concessions si le patron n’en fait pas non plus. Il y a sûrement des activités à couper mais les activités source de plaisir et de satisfaction sont motrices de la performance pour l’équipe. Si on les coupe en considérant qu’elles n’ont aucune valeur ajoutée, on détruit la motivation et s’il y a bien une chose dont on a besoin pour faire face à de la charge, c’est de la motivation.

    Auriez-vous un conseil à destination des managers : comment prendre le pouls auprès de son équipe ? Faut-il évoquer régulièrement la question de la charge de travail ?

    Adrien Chignard : Tous les mois, à titre personnel, je fais un point avec chacun des membres de mon équipe individuellement et une des questions que je leur pose c’est : où en es-tu de ta charge ? Est-ce absorbable ? As-tu besoin d’aide ? A quoi ressemblent les prochains mois ? Et en fonction de la réponse à cette dernière question, as-tu besoin d’être staffé davantage ? Moins ? D’aide sur des projets ? En veux-tu plus ou moins ? Arriver en pompier sur le sujet de la charge est difficile. C’est la raison pour laquelle demander aux uns et aux autres où ils en sont régulièrement, c’est déjà du soutien, ça leur fait du bien et ça permet de voir comment ils vont. Le problème de la charge est qu’elle nous met dans une forme d’anxiété anticipatrice : on se dit si d’autres choses arrivent, comment les faire rentrer ? D’où l’importance d’un monitoring régulier sur le sujet.

    Que faire quand on s’estime soi-même en surcharge de travail ?

    Adrien Chignard : La charge, dans la façon dont elle est vécue, connaît un modérateur : le sentiment d’être soutenu par son manager et son organisation. Tout chose égale par ailleurs, fort de ce soutien managérial ou organisationnel perçu, on va vivre la charge comme étant moins intense. Quand on se trouve en situation de surcharge, la première des choses est d’aller activer le soutien managérial et de demander de l’aide. Si son manager répond par une fin de non recevoir ou dit ‘non ça doit rentrer, tu es mal organisé’, ‘il n’y a qu’à, faut qu’on’, ‘c’est de ta faute, fais les choses différemment’, dites-lui que cela vous intéresse de voir comment il est possible de faire différemment. L’idée est de le confronter à son raisonnement. Soit c’est une pensée construite, soit c’est une pensée magique. S’il vous trouve des solutions concrètes pour faire face à votre problème de charge, c’est plutôt une bonne nouvelle : vous aurez appris quelque chose et vous ne serez plus en surcharge. Votre manager aura fait son job de vous épauler, vous aider, vous soutenir et vous permettre de faire face aux vicissitudes du quotidien. Soit c’est une pensée magique et il n’arrivera pas à faire rentrer l’activité dans les cases et il sera confronté lui-même de façon expérientielle à l’incapacité de répondre à la demande qu’il formule et donc sera plus enclin à accepter de faire différemment les choses. On ne traite jamais la charge en pensée, on ne la traite qu’en acte.

    Quelles limites se fixer à soi-même ?

    Adrien Chignard : Si vous vivez avec quelqu’un et que votre conjoint par exemple vous dit : ‘je trouve que tu bosses pas mal en ce moment’ et que vous vous entendez lui répondre ‘tu ne peux pas comprendre’, cela signifie que vous êtes en train de vous enfermer dans une solitude et un isolement qui sont propices à des situations difficiles. Lorsque l’on a l’impression qu’on est seul à pouvoir comprendre ce qui se passe, c’est mauvais signe et ça devrait nous faire tilt. L’autre signal d’alerte, c’est quand on a l’impression que notre vie personnelle est devenue la variable d’ajustement d’un système qui dysfonctionne. Si régulièrement, on doit rogner sur sa vie personnelle pour faire rentrer des choses dans son agenda, alors cela veut dire que c’est problématique. Pour que le travail ait sa juste place, la juste place ne peut être toute la place.


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