• «Plutôt que de mettre des rustines, tout le système doit changer»

    Libération Article paru sur https://www.liberation.fr/ par Elsa Maudet le 26 avril 2023

    Pour permettre une meilleure intégration des élèves porteurs de handicap, des chercheurs estiment nécessaire de renforcer la coopération entre les professionnels et d’adapter la pédagogie au plus grand nombre.

    Le constat est partagé : l’école dite inclusive, censée offrir une éducation de qualité aux enfants porteurs d’un handicap, est à la peine. La vraie solution ? Révolutionner le système au lieu de continuer à bricoler, plaident des chercheurs.

    «Si les gens travaillent ensemble, il se crée une synergie»

    Serge Thomazet, chercheur associé au laboratoire ACTé (Activité, connaissance, transmission et éducation) à l’Université Clermont-Auvergne

    «La question n’est pas de continuer à mettre des rustines : tout le système doit changer. L’école inclusive, c’est partir du postulat que tous les enfants peuvent aller à l’école, et ensuite leur fournir ce dont ils ont besoin pour apprendre au mieux de leurs possibilités. Si un élève polyhandicapé a besoin de soins, de rééducation, d’une salle avec des dispositifs de stimulation visuelle, il faut le lui donner. Il va falloir que tous les professionnels qui sont dans les établissements spécialisés viennent dans l’école apporter ces ressources et ces compétences.

    «Les jeunes avec polyhandicap ont jusqu’à 17 prises en charge. Résultat, certains se retrouvent avec deux heures d’école par semaine. C’est de la folie, on divise les enfants par autant de besoins qu’ils ont. Si les gens travaillent ensemble, il se crée une synergie, une cohérence. Est-ce que le travail de l’orthophoniste nécessite une prise en charge externe ou est-ce qu’il pourrait travailler avec l’enseignant, l’ergothérapeute et l’éducateur spécialisé pour réfléchir à des dispositifs en classe qui auraient une finalité à la fois scolaire, éducative, rééducative et thérapeutique ? En Auvergne-Rhône-Alpes, l’agence régionale de santé a passé une convention avec les trois rectorats (Clermont-Ferrand, Lyon et Grenoble) pour monter des formations conjointes. Les enseignants, les professionnels du médico-social et les familles travaillent ensemble à trouver des réponses inédites, qui résultent du croisement des expertises. [Un peu partout], il existe aussi des équipes mobiles d’appui à la scolarisation (Emas), des regroupements de professionnels médico-sociaux missionnés pour travailler auprès des équipes pédagogiques, ce serait super intéressant à développer.»

    «Une adaptation pour un gamin pourrait aller à tout le monde»

    Julia Midelet, maîtresse de conférences à l’Université de Caen-Normandie

    «Il y a un gros travail à faire pour regarder le jeune comme un apprenant et pas uniquement au prisme de ses difficultés et de son handicap. Les enseignants ont tellement la tête dans le guidon qu’ils sont focalisés sur l’élève qui ne réussit pas, mais ils ne se demandent pas si une adaptation pour un gamin en particulier ne pourrait pas aller à tout le monde. Si je dois faire des impressions en police 14 avec double interligne pour un élève dyslexique ou préparer des pictogrammes pour un élève qui a des problèmes de comportement, pourquoi je ne le ferais pas pour tous ? Et ceux qui n’en ont pas besoin ne s’en servent pas. Quel est l’intérêt qu’une évaluation soit écrite plutôt qu’orale ? Si le but est de vérifier que l’élève a les connaissances requises sur le Moyen Age, pourquoi il faudrait forcément passer par de l’écrit ? On évalue l’histoire, pas l’écriture.

    «En France, on a un saucissonnage par niveau de classe. Mais le système marche par cycles [cycle 2 du CP au CE2, cycle 3 du CM1 à la sixième, etc., ndlr], on peut donc fonctionner en barrettes, comme le font certains établissements : tous les élèves ont par exemple cours de français à la même heure, ce qui permet de faire des groupes par niveau de compétences.

    «Le rôle de l’école n’est pas que de permettre aux enfants d’acquérir des compétences en français ou en maths. On doit veiller à préparer de futurs citoyens. Si, en tant qu’enseignante, je ne fais que de l’individualisation, je vais avoir un, deux ou trois élèves avec un programme très spécifique, donc qui se construisent comme des élèves très spécifiques. Souvent, quand je rentre dans une classe, il y a un îlot avec les élèves qui ont des besoins particuliers. Ça voudrait dire qu’une fois qu’ils ont cette étiquette, ils ne peuvent s’insérer dans aucun autre groupe. Mais un gamin qui a du mal à écrire, peut-être qu’il n’est pas “à besoins particuliers” quand on doit travailler sur la poésie.»


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