• Co-enseignement et Différenciation pédagogique

    Co-enseignement et Différenciation pédagogiqueArticle paru sur https://journals.openedition.org/

     

     

    Le coenseignement dans une classe hétérogène promeut-il une différenciation pédagogique ?

    Scolarisation d’élèves de SEGPA dans une classe ordinaire de collège

    Myriam Janin, Gilles Moreau et Marie Toullec-Théry

    https://doi.org/10.4000/edso.14674

     

    Résumé

    Nous étudions, dans cet article, ce que coenseigner produit, quand, enseignants de collège (PLC) et enseignants spécialisés (PES) de Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA) scolarisent, en classe ordinaire, des élèves avec des besoins éducatifs particuliers. Un coenseignement dans une classe de collège hétérogène est-il alors de nature à favoriser la différenciation pédagogique ?

    Cet article articule deux approches, l’une quantitative, fondée sur une enquête auprès d’une cohorte de coenseignants en collège, l’autre qualitative, fondée sur l’analyse didactique d’une séance de coenseignement menée par un PLC et un PES. Cette double approche met en lumière que le coenseignement, à lui seul, n’est pas gage d’une différenciation pédagogique. Le risque existe en effet d’une répartition asymétrique des responsabilités entre les coenseignants. La différenciation pédagogique se réduit alors à la présence de l’enseignant spécialisé et à ses interactions avec certains élèves. La symétrie entre les coenseignants s’opère par une coplanification de l’enseignement où les indices collectés lors des séances et les enjeux didactiques sont conjointement travaillés. La différenciation pédagogique, pensée en amont, anticipe alors une partie des obstacles rencontrés par les élèves et permet de rendre les apprentissages accessibles.

    Introduction

    Différencier la pédagogie est un moyen prôné par l’institution pour réduire les écarts entre les élèves. Cette différenciation agirait favorablement sur les apprentissages si elle tend à « faire en quelque sorte que chaque apprenant se trouve, aussi souvent que possible, dans des situations d’apprentissage fécondes pour lui » (Perrenoud, 1997). Toutefois les enseignants français en collège déclarent moins que dans d’autres pays pratiquer un enseignement différencié (TALIS, 2013). Ils ressentent un sentiment d’impuissance et expriment un désarroi face à l’hétérogénéité des élèves (Prud’homme et al., 2011). Pourtant, dans une école dite inclusive, gérer l’hétérogénéité des publics est crucial. En France, sont ainsi scolarisés, dans une même classe de collège, des élèves avancés et des élèves « à besoins éducatifs particuliers », bénéficiant parfois de l’appui d’une Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA). Faire en sorte que l’école inclusive soit un « chez soi pour tous » (Gardou, 2014), nécessite alors de concevoir de quelles manières rendre les savoirs accessibles à tous et à chacun. La dimension épistémique est en effet indispensable à l’émancipation de chaque individu (Lansade, 2017).

    • Circulaire n°2015-176

    En réponse à l’hétérogénéité des élèves et pour les faire progresser dans leur diversité, certains établissements scolaires ont alors fait le choix d’un coenseignement. Il s’agit de faire travailler, dans le même espace et sur les mêmes objets de savoir, un enseignant régulier (professeur des Lycées et Collèges – PLC) et un enseignant spécialisé (Professeur des Ecoles Spécialisé – PES) de SEGPA. Ces pratiques de travail conjoint entre enseignants, sont encouragées par l’institution1.

    Ce coenseignement comme moyen de différenciation est l’objet de cet article. En quoi faire travailler ensemble deux enseignants, l’un disciplinaire (ici en mathématiques) –PLC–, l’autre généraliste et spécialisé dans la grande difficulté scolaire –PES– est-il un gage de différenciation pédagogique ?

    Nous avons construit notre propos sur deux approches complémentaires : (1) une approche qualitative, fondée sur l’analyse didactique d’une séance de coenseignement menée par les deux professeurs PLC et PES ; (2) une approche quantitative, fondée sur une enquête auprès d’une cohorte de coenseignants en collège à propos de leurs pratiques pédagogiques et des changements induits par le coenseignement (Janin & Couvert, 2020).

    Construction du problème

    La différenciation, premier moyen d’aide aux élèves

    Dès 2010, la circulaire de rentrée (circ. 2010-38) précise que la différenciation pédagogique est "la première mesure de personnalisation du parcours scolaire mise en œuvre par le maitre au quotidien dans la classe". Sans que la notion ne soit jamais définie, cette préconisation revient dans tous les textes réglementaires ultérieurs. Or c’est là toute la délicatesse du travail enseignant : il s’agit de prendre en compte, dans le collectif, ceux qui savent et d’autres qui savent moins ou pas (Sarrazy, 2011) et d’être en mesure d’ajuster les situations d’enseignement-apprentissage à la diversité des élèves. Cependant, pour nombre d’enseignants, différencier équivaut à individualiser ou à externaliser l’aide, c’est-à-dire à constituer des groupes en dehors du temps collectif. Pour d’autres enseignants, différencier consiste à constituer des groupes homogènes. Toutefois, « le regroupement d’élèves vulnérables dans des groupes spécifiques (qu’il s’agisse de classes, de filières, d’options…) s’accompagne presque systématiquement d’un accroissement des différences entre ces élèves et les autres, à travers notamment un processus d’adaptation des attentes éducatives aux caractéristiques du groupe” (Dubois-Shaik et Dupriez, 2013).

    En quoi des pratiques de différenciation pédagogique offrent-elles alors des moyens pour soutenir l’apprentissage de l’ensemble des élèves, surtout quand il s’agit d’un milieu inclusif, avec la co-présence et la co-action d’un coenseignant spécialisé et d’un enseignant disciplinaire de collège ? Comment font-ils pour « que les planifications et les interventions pédagogiques respectent les diverses caractéristiques des élèves significatives de la réussite de leurs apprentissages » (Legendre, 2005, p. 417) ? En effet, la différenciation pédagogique « propose un éventail de démarches, s’opposant ainsi au mythe identitaire de l’uniformité, faussement démocratique, selon lequel tous doivent travailler au même rythme, dans la même durée, et par les mêmes itinéraires » (Przesmycki, 2004, p.10). Les tâches qui incombent aux enseignants relèvent donc de l’analyse de l’environnement d’apprentissage pour ajuster leurs pratiques en tenant compte des caractéristiques des élèves, en lien avec l’apprentissage visé (Guay et al., 2006). Quelles complémentarités développent alors les coenseignants ?

    Un coenseignement pour différencier sa pédagogie

    Quand il s’agit d’œuvrer à une différenciation pédagogique, « les besoins pédagogiques et éducatifs de tous les élèves exigent des interventions nécessitant différentes formes de collaboration entre les professionnels impliqués » (Allenbach et al., 2016, p. 72). Collaborer implique alors une pluralité d’actions conjointes, didactiques et pédagogiques, en présence ou non d’élèves (Pelgrims, 2012), si l’on ne veut pas que les actions restent juxtaposées et manquent d’articulations explicites, préjudiciables aux apprentissages (Toullec-Théry et Marlot, 2013). Émergent alors de nouvelles formes de travail scolaire (Progin et Gather-Thurler, 2011) dont le coenseignement (Hallahan, et al., 2013 ; Tremblay, 2012). Ce dernier est défini comme « un travail pédagogique en commun, dans un même groupe ; temps et espace, de deux enseignants qui partagent les responsabilités éducatives pour atteindre des objectifs spécifiques » (Friend et Cook, 2016). Coenseigner a l’avantage de réduire le ratio élèves/enseignant et donc de favoriser les interactions, de fournir un enseignement plus individualisé et intensif (Friend et Cook, 2007), tout en étant moins stigmatisant (Murawski et Hughes, 2009). Les enseignants peuvent ainsi consacrer plus de temps et d’énergie à la différenciation pédagogique et à l’utilisation de stratégies d’apprentissage plus variées. Il nécessite des protagonistes, la mise en commun de leurs intentions pédagogiques, la clarification des rôles qu’ils jouent, mais aussi des types d’intervention qu’ils privilégient (Tremblay et Toullec-Théry, 2020). Les enseignants de l’enquête (Janin et Couvert, Ibid.) ressentent d’ailleurs deux principaux bénéfices du coenseignement : d’abord une différenciation pédagogique facilitée (à 67 %), puis une meilleure identification des « besoins éducatifs particuliers » des élèves (à 64 %). Ces résultats rejoignent d’ailleurs ceux d’autres recherches. Murawski et Hugues (Ibid.) mettent ainsi au jour que les enseignants estiment que le coenseignement perfectionne leurs connaissances liées aux stratégies d’apprentissage, développe une pratique réflexive et des capacités à différencier. Dieker et Murawski (2003) attestent que les enseignants adaptent leur enseignement pour répondre aux besoins multiples de la classe. Coenseigner permettrait de plus de « ne pas augmenter quantitativement des « aides » ou des amorces de réponses qui risquent de diminuer l’investissement des élèves » (Kummer et Pelgrims, Ibid., p. 41), à condition que le temps didactique reste commun (Toullec-Théry, 2017).

    • https ://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/154000708.pdf

    A la suite de Friend et Cook (Ibid.) et en s’en inspirant, la France a adopté 7 configurations de travail partagé (rapport « plus de maîtres que de classes », 2015) qui tiennent de coenseignement et de cointervention. Nous les présentons dans le tableau 1 ci-dessous . A la suite des configurations de coenseignement (1,2,3,4), nous adjoignons des configurations de cointervention (5, 6, 7) dans lesquelles, contrairement au coenseignement, les objets travaillés peuvent ne pas être les mêmes et les enseignants se tenir dans des espaces séparés.

    • Cette configuration, si elle n’est pas toujours considérée comme du coenseignement au sens strict d (...)

    Configurations de coenseignement

    Description

    1. L’un enseigne/ l’autre observe

     

    L’enseignant A mène l’enseignement et la mise en activité des élèves.

    L’enseignant B observe les élèves.

    2. L’un enseigne, l’autre aide

     

    L’enseignant A mène l’enseignement collectif et la mise en activité des élèves.

    L’enseignant B apporte un soutien, individuellement ou à quelques-uns. Il peut aussi s’adresser au collectif, s’il constate des difficultés similaires que rencontrent plusieurs élèves.

    3. Enseignement en tandem

     

    Les enseignants se partagent le pilotage de la séance et de la gestion du groupe.

    4 . Les deux aident

     

    Les enseignants A et B apportent individuellement ou à quelques-uns une aide, un soutien.

    Configurations de cointervention

    5. Enseignement avec groupes différenciés

     

    Pendant que l’enseignant A mène l’enseignement pour le groupe classe, B met en place un groupe d’élèves identifié. Il peut s’agir de groupes d’apprentissage par anticipation, d’enrichissement, de réenseignement, de remédiation.

    6. Enseignement parallèle

     

    Les deux enseignants partagent le groupe-classe en deux et chacun pilote la séance. Les contenus enseignés sont les mêmes dans les deux groupes réduits, la méthode d’enseignement peut différer.

    7. Enseignement en atelier

     

    Les deux enseignants organisent des ateliers. Les élèves peuvent « tourner » successivement sur plusieurs ateliers. chacun mène un atelier, un groupe est en autonomie.

    Tableau 1 : Configurations possibles du coenseignement

    Ces configurations, par les catégories d’organisation qu’elles opèrent, permettront la comparaison des pratiques des coenseignants de la séance analysée avec les réponses des enseignants enquêtés.

    Contextualisation de l’étude

    En France, il existe dans certains collèges (élèves de 12 à 16 ans), une Section Générale et professionnelle adaptée (SEGPA), structure spécifique qui scolarise des élèves présentant « des difficultés scolaires graves et persistantes » (circ. n°2015-176). La dernière circulaire en date (n°2015-176) promeut une scolarisation des élèves affectés en SEGPA dans les classes « ordinaires » de collège. De nouvelles coopérations voient donc le jour. Les enseignants spécialisés de SEGPA (PES) ont désormais comme mission récente d’accompagner et de soutenir leurs élèves en classe « ordinaire ». Dans le même temps, les enseignants de collège (PLC) voient l’hétérogénéité de leurs classes augmenter.

    Cet article développe une étude de cas menée sur le coenseignement mettant en jeu un professeur spécialisé en SEGPA (PES) et un professeur de collège en mathématiques (PLC) et nous tenterons de comprendre en quoi ce coenseignement promeut une différenciation pédagogique, au service des apprentissages des élèves les plus fragiles. Rappelons que cette étude de cas est soutenue par les résultats d’une enquête menée à plus large échelle.

    Nos hypothèses sont doubles.

    1. Le coenseignement, dans un contexte inclusif, constituerait un contexte favorable à la mise en œuvre d’une différenciation pédagogique dans la mesure où chaque professeur dispose de compétences spécifiques (Tremblay et Toullec-Théry, 2020).

    2. Une coplanification pourrait favoriser une différenciation pédagogique plus effective si les enjeux d’apprentissage sont étudiés conjointement (Toullec-Théry, 2020).

    Cadres conceptuel et méthodologique

    Cadres conceptuels

    Dans cet article, l’analyse didactique de la séance étudiée est fondée sur un double cadre théorique, le multi agenda tel que défini par Bucheton et Soulé (2009) et la Théorie de l’Action Conjointe en Didactique (TACD - Sensevy, 2011).

    Les gestes professionnels

    Selon le « multi-agenda » de Bucheton et Soulé (Ibid.), les actions des enseignants s’organisent en quatre préoccupations « enchâssées » que sont le tissage, l’étayage, le pilotage des tâches, l’atmosphère, convergeant vers des objets de savoirs (figure 1).

     

    Figure 1 : Multi-agenda des préoccupations enchâssées (d’après Bucheton et Soulé, Ibid.)

    Ces préoccupations sont modulées selon les expériences de l’enseignant et les savoirs visés, selon la nature des interactions avec les élèves, mais aussi l’organisation spatiale, temporelle, cognitive, affective de la séance.

    • 4 « Une posture est un schème préconstruit du « penser-dire-faire », que le sujet convoque en réponse (...)

    Lors d’une séance, un enseignant adopte différentes postures4 (Ibid.) qui se succèdent par ajustement constant, selon l’interprétation qu’il fait de la situation, mais également de ses « logiques d’arrière-plan », ses valeurs, son rapport à la prescription institutionnelle, son expérience professionnelle, sa conception de l’apprentissage, son identité professionnelle (Saillot et Malmaison, 2018). Cinq types de postures ont été identifiés.

    - La posture de contrôle vise le cadrage de la situation via un pilotage serré de l’avancée des tâches. L’enseignant fait avancer le groupe en synchronie. L’atmosphère est tendue et hiérarchique.

    - Avec la posture d’accompagnement, l’enseignant apporte une aide ponctuelle, individuelle et/ou collective, en fonction de l’avancée de la tâche et des obstacles à surmonter. Cet accompagnement est souple et l’atmosphère détendue. Le tissage est renforcé.

    - La posture de lâcher-prise favorise l’autonomie des élèves. C’est une posture de confiance. L’enseignant intervient peu. Les tâches sont à la portée des élèves, les gestes ou ressources pour les accomplir leur sont connus.

    - La posture d’enseignement correspond au temps où l’enseignant formule, structure les savoirs, explicite le lien entre les tâches.

    - La posture du magicien correspond à une théâtralisation des situations.

    Jeu didactique et TACD

    Pour décrire l’action didactique, nous utiliserons une métaphore, celle du jeu. Le professeur et les élèves jouent à un jeu didactique puisqu’il y a une intention de faire apprendre quelque chose à quelqu’un (Brousseau, 1998, Sensevy, 2011). Nous considérons donc ce jeu didactique comme un système ternaire insécable « enseignant-élèves-savoir ». Pour jouer, il s’agit, pour les élèves, de mette en place les règles définitoires (comment on joue), mais aussi de construire les règles stratégiques (comment on gagne). L’enjeu de l’enseignant est alors de dévoluer aux élèves la responsabilité de la situation d’apprentissage, pour qu’ils la résolvent, de leur propre mouvement (« clause proprio motu ») (Sensevy & Mercier, 2007, p. 20). Tout jeu didactique implique donc un équilibre entre le contrat ‒ le « déjà-là », le « connu » ‒ et le milieu, l’« à-connaitre », le « problème » (Sensevy, 2011). Toutefois, le contexte étudié dans cet article est spécifique puisqu’il y a deux enseignants, notre système didactique est bicéphale. Notre intérêt se portera sur l’agencement spécifique des transactions didactiques (Sensevy, Ibid.), c’ est-à-dire des interactions fondées sur des savoirs.

    Cadre méthodologique

    Notre méthodologie est construite sur deux dimensions qui se veulent complémentaires :

    Une étude de cas, où il s’agit d’analyser minutieusement avec des outils didactiques une séquence menée en coenseignement dans une classe de 6ème entre un professeur de collège ‒PLC‒ et un professeur spécialisé en SEGPA ‒PES‒ (Toullec-Théry, M. et Moreau, G. 2020).

    Une enquête sur les actions de coenseignement et les postures privilégiées par les coenseignants, menée auprès d’une cohorte d’enseignants, exerçant dans des classes de collège (Janin et Couvert, 2020). Elle nous permet une certaine « montée en généralité ».

    Nous présenterons d’abord quelques épisodes clés de notre étude de cas, que nous consoliderons avec des résultats de l’enquête.

    Analyse didactique d’une séance en classe de 6ème inclusive

    Deux enseignantes PLC, professeur de mathématiques, et PES, professeur des écoles spécialisée en SEGPA, coenseignent dans une classe de 6ème inclusive qui scolarise 30 élèves dont 9 bénéficiant de l’appui de la SEGPA. Sur les 4h30 hebdomadaires de mathématiques, elles en partagent trois. Elles disposent aussi d’une heure hebdomadaire dédiée à la planification de leurs séances. Elles participent à une ingénierie coopérative, instance pluri-catégorielle - réunissant un chercheur et 4 enseignantes – qui a pour but l’élaboration de fins communes, avec la détermination de quelque chose que l’on va enseigner et comment on va l’enseigner (Sensevy, 2011). Cette ingénierie a une visée transformative : les enseignantes observent pour mieux comprendre leurs pratiques et pour produire des stratégies nouvelles, en confrontant leurs points de vue d’ingénieurs coopératifs (Perraud, 2019).

    Des épisodes significatifs issus des films de la pratique ont été « transcrits » en bande dessinée. Dans chaque case, PLC est en rouge et PES en bleu.

    Analyse d’extraits de la séance

    L’exercice proposé aux élèves consiste, en s’appuyant sur une figure géométrique composée de triangles, à sélectionner une portion de surface : un quart, un tiers, trois quarts, cinq sixièmes (figure 2). La consigne de l’exercice est courte : « Grise la fraction de la surface indiquée ». La tâche est identique pour tous, sans aménagement spécifique pour certain. Une différenciation pédagogique en amont n’a pas été planifiée : la même consigne s’applique pour tous.

    Episode 1 : Surface et fractions

     

    Figure 2 : exercice distribué aux élèves

    Au début de cette séance (case 1), PLC se tient près du tableau où la figure est projetée. Elle pilote l’activité (posture d’enseignement), tandis que PES, assise sur le bord de la fenêtre, observe la classe (ce qui ressemble à une posture de lâcher-prise). PLC sollicite les élèves et leur pose une double question (que l’on peut apparenter à une posture de contrôle) : à quoi la figure ressemble, qu’est-ce qu’on voit ?

     


    Case 1 : PLC diffuse la consigne

    35Il s’agit de la phase définitoire du jeu didactique. A la question de PLC, un élève introduit « étoile », forme générale de cette figure géométrique. Cette réponse ne satisfait pourtant pas entièrement PLC. Elle attire alors l’attention des élèves vers ce qui compose cette étoile, à savoir sur les triangles. Léon (case 2), produit alors une information non essentielle pour réaliser la tâche, et centre son propos sur le quadrillage sur lequel la figure est dessinée (grands carreaux et petits en pointillé).

     

    Case 2 : Léon produit un énoncé non attendu

    PLC poursuit son guidage en insistant sur les « traits pleins » (posture d’enseignement). PES prend alors la main et introduit une autre approche (case 3). Le pilotage devient donc partagé. La configuration initiale a évolué vers un « enseignement en tandem » où les deux enseignantes occupent alternativement une posture d’enseignement et de contrôle. PES institutionnalise d’emblée le fait que « c’est une étoile » et demande alors aux élèves de la décrire. Toutefois sa posture d’enseignement est originale, elle ouvre en effet à un langage de description d’un objet « ordinaire », renonçant momentanément au champ des mathématiques.

     

    Case 3 : PES quitte sa position de retrait et intervient

    Une élève décèle alors tout de suite les triangles (case 4).

     

    Case 4 : La réponse attendue est diffusée par un élève

    PLC retrouve ensuite sa posture d’enseignement, elle réinterprète la réponse dans le contexte des mathématiques. Dans une certaine posture symétrique de cet « enseignement en tandem », chacune des enseignantes prend la responsabilité d’une partie de la situation : un tissage s’opère entre savoir mathématique et description « ordinaire ». PLC relie le travail des élèves à la progression mathématique (qui coïncide à la posture d’enseignement), alors que PES élucide un obstacle de cette figure pour que la situation revête un caractère mathématique (qui coïncide à la posture d’accompagnement).

    Episode 2 : l’angle

    Cet épisode intervient au début d’une autre séance. PLC dessine au tableau un quadrilatère quelconque nommé ABCD, dont elle repère l’angle ABC. Elle donne les consignes suivantes :

    nommer l’angle ;

    nommer son sommet ;

    définir la nature de cet angle, elle précise : « est-il aigu ou obtus ? »

    Les élèves reproduisent la figure dans un cahier d’exercice et se mettent au travail individuellement, pendant que les deux enseignantes circulent dans les rangs. Cette posture d’un certain lâcher-prise s’accorde avec la posture d’accompagnement puisque les deux enseignantes, dans la configuration « les deux aident », produisent des gestes d’étayage, partageant le territoire de manière symétrique. Il n’y a pas eu de répartition des rôles en amont, elles s’adressent indifféremment aux élèves, qu’ils soient identifiés comme ceux bénéficiant de l’appui de la SEGPA ou non, quitte à ce que chacune produise un étayage avec un même élève.

     

    Case 5 : PLC précise la consigne pour Darius

    PLC regagne le tableau pendant que PES se déplace alors rapidement vers Darius. Elle rappelle d’abord à Darius un détail matériel (case 6).

     

    Case 6 : PES prodigue une aide matérielle

    PES s’occupe d’abord des aspects matériels, une difficulté d’organisation récurrente chez Darius. Si elle éloigne ensuite par deux fois, elle revient « jeter un coup d’œil » , conservant ainsi sa posture d’accompagnement voire de contrôle (case 7).

     

    Case 7 : PES poursuit son accompagnement sur des propriétés mathématiques

    Quand PES estime que Darius a réussi à surmonter sa difficulté, elle se dirige vers le tableau. PLC et PES échangent alors quelques mots qui suffisent à enclencher la phase de correction (case 8).

     

    Case 8 : Aparté entre les deux enseignantes

    Les transitions entre les différentes activités sont donc décidées conjointement, par des micro concertations in-situ : un mot, un échange de regards, un hochement de tête.

    L’enquête

    L’enquête réalisée (Janin & Couvert, 2020) a été diffusée à l’ensemble des personnels enseignants en SEGPA du département de la Moselle (professeurs des écoles spécialisés, professeurs de collège ou des lycées professionnels des champs professionnels fréquentés par les élèves bénéficiant de l’appui d’une SEGPA). Soixante-sept questionnaires ont été complétés par des coenseignants. Les résultats sont rappelés en Annexe 1.

    Nous nous intéresserons ici spécifiquement aux configurations mises en œuvre dans leurs pratiques de classe et à celles qu’ils privilégient. Ces données ont été complétées a posteriori par des entretiens réalisés auprès d’enseignants volontaires.

    Les configurations privilégiées

     

    Figure 3 : configurations de coenseignement privilégiées par les 67 enseignants enquêtés

    « L’un enseigne, l’autre aide », une configuration plébiscitée 

    Quand le coenseignement implique un enseignant de collège et un enseignant spécialisé, les enseignants enquêtés plébiscitent très largement la configuration « l’un enseigne/l’autre aide » (85%). Les entretiens semi-directifs indiquent que, majoritairement, dans cette configuration, le PES adopte une posture d’accompagnement. Une asymétrie existe alors. C’est le PLC, spécialiste de sa discipline, qui, principalement, assure un pilotage et organise l’avancée des savoirs de la séance, alors que PES assure, pour certains élèves, un étayage plus soutenu. L’enquête ne révèle en revanche pas vraiment si cet étayage concourt à donner du sens et de la pertinence aux apprentissages collectifs (tissage) ou s’il s’agit de concourir à d’autres apprentissages avec certains élèves. Toutefois, la configuration « enseignement en groupes différenciés » est plébiscitée par presqu’un enseignant sur deux (46%). Un groupe homogène restreint est donc souvent confié à l’un des enseignants. Or cette forme de différenciation présente un risque, celle de juxtaposer ce groupe au temps didactique de la classe.

    Deux autres configurations relèvent d’un tissage plus évident, avec un partage du pilotage des tâches, celle d’« enseignement en tandem » (45%), et celle où les « deux enseignants aident » (57%). La configuration « l’un enseigne, l’autre observe » est en revanche moins usitée par les enseignants (31%). Lorsqu’elle est planifiée, c’est généralement le PES qui adopte cette posture.

    Plusieurs configurations peuvent se succéder au cours d’une même séance. Cela est confirmé par notre étude de cas, bien que les coenseignantes impliquées aient une nette préférence à ne pas dissocier certains élèves de l’avancée du temps didactique de la classe. Ce choix a des incidences dans leurs pratiques, elles alternent majoritairement les deux postures de tissage et d’étayage. Le pilotage est surtout aux mains de PLC, PES intervient dans une forme de soutien-étayage.

    Une incidence de la formation et de l’expérience sur les configurations

    Les dyades enquêtées mettent en œuvre plusieurs configurations au cours d’une séance (2,85 en moyenne). Un croisement entre les variables configurations et participation à des formations atteste de l’impact de la formation(Janin & Couvert, 2020), puisqu’une augmentation s’opère à 3.35 configurations différentes. De plus, les enseignants qui pratiquent un coenseignement depuis plus de 2 ans déclarent 3.9 configurations différentes contre 2.6 pour ceux l’ayant débuté à la rentrée précédente. La participation à des formations et l’ancienneté de pratique agissent donc comme des facteurs favorables à la diversification des pratiques, creuset d’une différenciation pédagogique. Ces résultats coïncident avec les pratiques des deux enseignantes étudiées, l’éventail des pratiques est large, avec l’ingénierie qui fait œuvre de formation, et ce, depuis 2 ans.

    Discussion des hypothèses

    Le coenseignement constitue-t-il un contexte favorable à la mise en œuvre d’une différenciation pédagogique efficace avec des élèves en grande difficulté (Tremblay 2015) ?

    La séance étudiée montre un pilotage plus assumé par PLC, avec un soutien-étayage de PES, dans une pluralité de configurations, l’un.e enseigne/l’autre aide ; l’un.e enseigne/l’autre observe ; les deux aident.

    Nous avons observé, dans nos deux épisodes,

    - une orchestration à deux, chacune occupant tour à tour une posture d’enseignement, de contrôle, d’accompagnement ; l’observation incombant plus à PES ;

    - une chorégraphie où les territoires s’agencent, selon des mouvements des corps qui vont du retrait physique à une distance intime.

    Chez ces deux enseignantes, orchestration et chorégraphie permettent une réponse rapide des coenseignantes à ce qui se passe en classe. Des actions complémentaires s’affichent surtout dans les deux configurations « les deux aident » et un « enseignement en tandem » (les résultats de l’enquête témoignent d’une utilisation fréquente de ces configurations, à 57 %, pour la première ; 45 %, pour la seconde).

    Toutefois peut-on associer l’orchestration et la chorégraphie à une différenciation dans la mesure où ni la situation d’enseignement-apprentissage, ni les attentes en termes d’apprentissages ne sont explicitement différenciées ? La configuration « l’un enseigne/l’autre aide » reste en effet, dans notre étude de cas, majoritaire, tout comme dans l’enquête. Cette configuration a tendance à faire conserver des tâches « routinières » à chacun. La souplesse de fonctionnement prônée par les recommandations sur la différenciation pédagogique (CNESCO, 2017) existe certes un peu, mais la variété des réponses didactiques et pédagogiques (Ibid.) est souvent éludée : les coenseignantes de notre étude de cas, répondent à la difficulté de tout élève de la même manière, celle d’une relation différenciée via un rapprochement physique, avec certains élèves. Autrement dit, si le travail de PES est principalement dévolu à des tâches de soutien (posture d’accompagnement) et celui de PLC à l’avancée du temps didactique (posture de contrôle et/ou d’enseignement), alors la différenciation pédagogique réside essentiellement dans un étayage sur fond d’interactions différenciées entre PES et l’élève qui présente des difficultés.

    Le plébiscite de cette configuration ‒85 % des enseignants disent la privilégier‒ questionne alors. Ces rôles « routiniers » présentent, comme nous l’avons dit, des risques de juxtaposation de certains élèves au collectif, ce qui relève d’une forme parfois pervertie de la différenciation pédagogique puisqu’on ne concourt pas aux mêmes enjeux d’apprentissage avec certains. S’affranchir de la permanence des rôles nécessiterait alors un travail conjoint de connaissance réciproque des obstacles potentiels cristallisés dans une situation d’apprentissage. Or, d’après les résultats présentés dans Janin & Couvert (2020), seuls 34 % des enseignants déclarent que le coenseignement les fait accéder à une meilleure connaissance de leurs élèves. De plus, 67 % se focalisent sur l’identification des difficultés des élèves, comme si ces dernières étaient davantage à trouver chez les élèves que dans l’analyse de la situation d’enseignement-apprentissage, et que la recherche des manques de l’élève était plus importante que celle de leurs connaissances, points d’appui potentiels.

    Dans notre étude de cas, dès le début du travail d’ingénierie, PLC s’est opposée à ce que PES soit reléguée à un rôle de « subalterne », même si nous venons de le dire les rôles restent encore « routiniers ». Ce principe de symétrie assumé chez les coenseignantes repose donc sur un refus des dualismes (PLC/PES) et sur la reconnaissance des spécificités propres à chacune (Sensevy, 2011). Ainsi, lors de la définition de la situation (épisode 1), PLC centre d’emblée son propos sur les enjeux mathématiques et s’en porte garante ; PES s’attache, elle, à faire décrire la figure par des élèves volontaires. Intuitivement, PES s’assure que les élèves évoluent dans le « bon milieu ». Elle y est attentive parce qu’elle connaît l’hétérogénéité des élèves et qu’elle sait l’importante capitale de l’explicitation des attentes sur l’activité des élèves. Au terme d’une année de coenseignement régulier, PES s’est en effet autorisée à s’engager sur le terrain de PLC et à se sentir légitime à enseigner les mathématiques, ce qui a renforcé le tissage de leurs actions. Toutefois, pour engager les élèves dans la situation d’apprentissage, chacune dispose de sa « boîte à outils », le savoir mathématique à enseigner, plus du côté de PLC, et le savoir enseigner ce qui fait obstacle, plus du côté de PES. Cette double « boite à outils » tisse les compétences mathématiques et les « besoins » des élèves.

    Cette configuration « l’un enseigne, l’autre aide » serait donc à considérer attentivement pour engager des dyades de coenseignants à occuper, au sein de la classe, un registre pluriel de responsabilités convergeant vers ce qui est à apprendre, dans la situation spécifique travaillée avec les élèves, sans toutefois se départir de leurs spécificités, c’est-à-dire de « boîtes à outils » spécifiques. L’expert en mathématiques connaît et localise les obstacles didactiques, l’expert de la difficulté scolaire connaît et localise les obstacles pour les enseigner à des élèves avec des difficultés. C’est dans la mutualisation de ces compétences que la différenciation pédagogique pourra être effective et efficace. Sinon le PES est relégué à un rôle d’auxiliaire et la différenciation se réduit à la présence de l’enseignant spécialisé dans la classe (Moreau & Toullec-Théry, 2020). Notre hypothèse n’est donc validée qu’à certaines conditions. En effet, ce n’est pas le coenseignement en soi qui atteste d’une différenciation pédagogique. Diminuer le ratio élève-enseignant ou introduire dans la classe un spécialiste de la difficulté scolaire ne suffit pas, il faut créer les conditions d’une compréhension commune de la situation d’apprentissage, des obstacles et des manières dont chaque enseignant dispose pour les résoudre, ce qui relève d’une certaine symétrie entre eux.

    Une coplanification peut-elle favoriser une différenciation pédagogique plus effective si les enjeux d’apprentissage sont étudiés conjointement (Toullec-Théry, 2020) ?

    Comme nous l’avons dit, PES et PLC n’ont pas déployé d’ajustements spécifiques de la situation d’enseignement-apprentissage, hors des interactions particulières de l’une ou l’autre des enseignantes (surtout des PES), avec certains élèves. Une différenciation pédagogique relevant de l’accessibilité des savoirs et des obstacles n’a pas été anticipée. En revanche, elles ont anticipé sur les organisations. Or nous avons montré les risques

    - d’une répartition des responsabilités pré-actées, génériques, sans liens particuliers avec la nature de la situation d’enseignement-apprentissage ;

    - d’enjeux didactiques de la séance non explicités et non partagés, parce que chacun peut en avoir une compréhension particulière ;des incohérences dans les actions entreprises peuvent alors advenir.

    Interrogées à ce propos, les coenseignantes disent être vigilantes à ne pas se contredire, et ainsi ne pas introduire de confusion chez les élèves. Elles se sont donné pour cela deux solutions :

    - soit, en amont, lors d’une concertation, les coenseignantes anticipent les actions et les aides qui seraient les plus appropriées ;

    - soit elles prennent in situ des indices à partir de l’action de leur collègue et entretiennent des micro-interactions pour se mettre d’accord sur le vif. Si PES, estime que l’aide de PLC est la plus indiquée pour aborder la situation, elle s’efface au profit de sa collègue. La réciproque est vraie.

    Cet ajustement réciproque in situ est possible parce qu’il existe une coplanification des objectifs d’apprentissage et une analyse des obstacles potentiels de la situation d’apprentissage, couplée aux réactions de certains élèves. Or, l’une des difficultés éprouvées par les coenseignants est précisément de trouver du temps de travail en commun (Janin & Couvert, 2020). La coplanification est jugée très coûteuse.

    Dans notre étude de cas, PLC et PES participent à des réunions de coplanification. Un travail spécifique les embarque ainsi dans l’analyse de leurs séances qui agit comme un levier pour travailler conjointement en classe. L’enquête consolide ce résultat : la formation densifie les répertoires de configurations et sans doute les répertoires de pratiques. Ainsi, les coenseignantes de notre étude de cas négocient le déroulement de la semaine, à partir de la progression des apprentissages effectuée par PLC. Elles discutent, modifient, enrichissent par les séances, avec les informations prises au fur et à mesure des séances précédentes. Cette coplanification de leur enseignement, relève aussi de choix de stratégies pour rendre les apprentissages plus accessibles. Si 42 % des enseignants enquêtés, disent qu’une connaissance fine des difficultés est un moyen crucial pour un meilleur étayage des élèves, il est alors surprenant que la coplanification ne soit pas plébiscitée.

    Dans la séance filmée, les choix sont opérés sous l’action concertée des coenseignants et les variations de postures discutées. Le principe de symétrie selon lequel les enseignants partagent la responsabilité du groupe classe accorde une priorité à ce que l’on veut faire apprendre aux élèves (CNESCO, 2017). L’action enseignante, ajustée en fonction des enjeux d’apprentissage, conserve alors un temps didactique commun pour l’ensemble des élèves.

    Une double condition existe donc à la pédagogique différenciée :

    1. qu’il y ait, lors de la planification conjointe de la séance, un accord sur les objectifs d’apprentissage, sur ce qu’il y a à apprendre, tout en conservant une responsabilité commune des apprentissages et un temps didactique commun à tous les élèves, modulé selon les besoins de certains ;

    2. que la séance soit un observatoire des élèves ; quand des obstacles surgissent, les deux enseignants ont les moyens d’agir de manière complémentaire, à partir de ce qui a été négocié en amont et en fonction des indices recueillis lors de séances précédentes. Dans notre étude de cas, la configuration « l’un enseigne, l’autre observe » est ainsi déployée. En revanche, les résultats de l’enquête attestent que généralement cette configuration est peu présente. Cette prise de distance que l’observation implique pourrait être favorisée dans les formations entreprises puisque ces prises d’indices s’avèrent des éléments cruciaux dans l’accessibilité des tâches et donc pour une différenciation pédagogique plus effective.

    Conclusion

    L’objectif de cet article était d’évaluer si la mise en place de coenseignement dans une classe de collège hétérogène était de nature à favoriser la différenciation pédagogique, et donc à rendre les situations d’apprentissage fécondes pour tous les élèves. Pour cela, nous avons couplé une enquête quantitative à l’observation d’une étude de cas. Différentes tendances ont alors pu être mises en évidence.

    La modalité « l’un enseigne (le PLC) l’autre aide (le PES) » est plébiscitée. Les coenseignants occupent alors une double posture, celle de contrôle, avec un PLC plus centré sur la didactique, et celle d’accompagnement, avec un PES plus centré sur la réponse aux difficultés des élèves avec une étayage plus soutenu. Toutefois, cette organisation présente le risque d’une répartition asymétrique des responsabilités, avec l’expert disciplinaire qui pilote l’avancée du temps didactique, pendant que l’expert de la difficulté scolaire intervient en soutien face à des difficultés immédiates. Le coenseignement, à lui seul, n’est donc pas gage d’une différenciation pédagogique efficace.

    Néanmoins, cette configuration « l’un enseigne/l’autre aide » permet une collecte in situ d’indices, si elle est soutenue par celle « l’un enseigne/l’autre observe » et à condition que cette collecte soit investie lors de réunions de coplanification. En effet, une coprésence n’est pas suffisante. C’est le partage de ces indices qui va agir sur leurs actions, grâce à une anticipation des difficultés à venir, et à une construction affinée des actions et des aides. La responsabilité pédagogique conjointe et le pilotage partagé de la séance, mais aussi la coplanification qui crée un mouvement de symétrie entre les coenseignants, sont au cœur d’une différenciation pédagogique.

     

    BIBLIOGRAPHIE

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    ANNEXE

    ANNEXE : Bénéfices et difficultés constatés par les enseignants (PE-PLC-PLP) de collège de Moselle lors de la pratique du coenseignement (n = 67), issu de Janin&Couvert (2020)

    (NB : ne sont renseignés que les items cités par au moins 30 % des enseignants)

    Principaux bénéfices constatés

    Différenciation pédagogique facilitée

    67%

    Meilleure identification des difficultés / besoins éducatifs

    64%

    Meilleure disponibilité

    60%

    Complémentarité des actions pédagogiques

    48%

    Entrée dans la tâche facilitée

    43%

    Amélioration du climat de classe

    42%

    Meilleur étayage des élèves

    42%

    Augmentation des compétences pédagogiques

    36%

    Meilleure connaissance des élèves

    34%

    Augmentation de la concentration des élèves

    33%

    Augmentation du temps de travail effectif

    31%

    Modification de la posture d'enseignement (ex. : lacher-prise)

    31%

    Évaluation des élèves facilitée

    30%

    Principales difficultés constatées

    Difficulté à trouver du temps commun pour la préparation de séance

    69%

    Augmentation du temps de préparation

    52%

    Augmentation du bruit dans la classe

    33%

    NOTES

    1 Circulaire n°2015-176

    2 https ://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/154000708.pdf

    3 Cette configuration, si elle n’est pas toujours considérée comme du coenseignement au sens strict du terme, contribue au repérage des obstacles et des « besoins éducatifs des élèves ». Elle rend la co-planification plus efficace.

    4 « Une posture est un schème préconstruit du « penser-dire-faire », que le sujet convoque en réponse à une situation ou à une tâche scolaire donnée » (Soulé et Bucheton, Ibid., p.38).

    TABLE DES ILLUSTRATIONS

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    Légende Figure 1 : Multi-agenda des préoccupations enchâssées (d’après Bucheton et Soulé, Ibid.)
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    POUR CITER CET ARTICLE

    Référence électronique

    Myriam Janin, Gilles Moreau et Marie Toullec-Théry, « Le coenseignement dans une classe hétérogène promeut-il une différenciation pédagogique ? », Éducation et socialisation [En ligne], 60 | 2021, mis en ligne le 30 juin 2021, consulté le 13 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/edso/14674 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.14674

    AUTEURS

    Myriam Janin

    Ph,D, conseillère pédagogique, DSDEN de la Moselle

    Gilles Moreau

    doctorant, CREN, Université de Nantes et Inspé

    Marie Toullec-Théry

    MCF, CREN, Université de Nantes et Inspé

    DROITS D’AUTEUR

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    La revue Éducation et socialisation est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.


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