• Travailleurs handicapés, former plus pour intégrer mieux

    Travailleurs handicapés, former plus pour intégrer mieuxArticle paru sur https://www.lenouveleconomiste.fr/ le 26/04/2018

    La formation est le facteur majeur de l’insertion des travailleurs handicapés. Reste à mieux construire les parcours de formation et fluidifier les démarches pour les entreprises.

    Formation des travailleurs handicapé, la clé de l'intégration

    Pour lutter contre le chômage des personnes handicapées, la formation semble être un levier encore insuffisamment activé. Beaucoup d’associations et d’employeurs potentiels soulignent également la trop grande complexité des démarches administratives. Qui fait quoi ? À qui s’adresser ? Comment monter les dossiers ? Autant de questions qui, dans un trop-plein d’informations, ne trouvent pas forcément de réponses adéquates. Enfin, les entreprises peinent trop souvent à identifier les bons candidats. Des initiatives prometteuses viennent pourtant éclairer l’avenir professionnel des demandeurs d’emploi en situation de handicap.

    par Nicolas Monier

    Pôle emploi recense aujourd’hui quelque 500 000 personnes handicapées inscrites dans ses fichiers. Avec un taux de chômage de 19 %, deux fois supérieur à la moyenne nationale, cette population peine encore à trouver sa place au sein des entreprises, avec un taux d’activité des personnes déficientes d’à peine de 43 %. En outre, le pourcentage de travailleurs handicapés au sein des entreprises atteint faiblement les 4 %, alors que la loi impose aux sociétés un quota des 6 %. Il est dès lors évident que la formation et l’apprentissage demeurent trop souvent des leviers insuffisamment activés pour combler ce déficit. Soucieuse de faire tomber les idées reçues, Karine Reverte, directrice du CCAH (Comité national coordination action handicap), rappelle que “85 % des personnes recrutées en situation de handicap ne nécessitent pas d’aménagement de poste”. Et elle ajoute : “concrètement, c’est le sourcing des candidats qui reste la préoccupation première des entreprises. Il peut être difficile de trouver des profils adaptés aux besoins des recruteurs”.

    Identifier les bons candidats

    C’est un constat que partagent plusieurs entreprises françaises parmi lesquelles Sopra Steria, entreprise de services du numérique. Cette dernière a d’ailleurs lancé plusieurs programmes, “Handitutorat” avec des écoles d’ingénieurs et “Atouts pour tous” avec des universités, car Sopra Steria ne parvenait pas à trouver de candidats formés et qualifiés. “En 2012, nous avons signé notre premier accord handicap. Lorsque nous nous sommes lancés dans le recrutement de salariés en situation de handicap, nous ne trouvions pas de candidats dans les écoles d’ingénieurs”, note Consuelo Bénicourt, la directrice RSE. l’ancienne directrice du recrutement de Sopra : “nous nous appuyons désormais sur un réseau de volontaires (des étudiants d’écoles d’ingénieurs et d’universités ainsi que des managers de Sopra Steria), qui assurent un soutien scolaire à des lycéens en situation de handicap. Notre programme compte près de 50 lycéens accompagnés chaque année. Déjà sept écoles d’ingénieurs nous font confiance ainsi que les universités d’Ile-de-France (Paris, Créteil, Versailles)”.

    “La notion d’accompagnement et de parrain est essentielle. Car les jeunes handicapés sont souvent en rupture scolaire.”

    De son côté, Ladapt (Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées) privilégie également les dispositifs de l’emploi accompagné. Cela passe avant tout par la mise en place d’un tuteur ou d’un référent entre l’entreprise et le jeune handicapé. “La notion d’accompagnement et de parrain est essentielle. Car les jeunes handicapés sont souvent en rupture scolaire. Il faut encourager le recrutement de personnes qui font le lien entre les différents acteurs et qui empêchent la situation de se dégrader”, explique Éric Blanchet, directeur de Ladapt.

    D’autres initiatives parmi lesquelles le salon virtuel pour l’emploi “Hello Handicap” et la SEEPH (Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées), créée par Ladapt en 1997, permettent aux demandeurs d’emploi d’être mis en relation avec des employeurs.

    Opter pour l’alternance

    Ces initiatives ne doivent surtout pas faire oublier la nécessité d’une meilleure formation chez les personnes handicapées pour pouvoir accéder à l’emploi. Serge Ebersold, sociologue et titulaire de la chaire accessibilité au Cnam (Conservatoire national des arts et métier), a montré dans une étude menée pour le compte de l’OCDE que dans certains pays, l’accès à l’enseignement supérieur augmente de 30 % la possibilité de trouver un emploi chez les jeunes handicapés. “Comme pour l’ensemble des jeunes, le taux de chômage chez les handicapés, même s’il est deux fois plus important que celui de la population générale, est fortement lié à l’absence de qualification”, analyse le sociologue. Et celui-ci de rappeler que 86 % des jeunes handicapés français inscrits en lycée le sont dans des lycées professionnels.

    Pour certains organismes, parmi lesquels l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), l’alternance demeure une véritable opportunité, y compris pour les employeurs. “Elle offre l’opportunité d’accéder directement à l’emploi tout en travaillant sur la montée en qualification des personnes. Et permet ainsi de construire des réponses sur mesure à des emplois identifiés sur lesquels il n’est pas toujours facile de trouver des candidats qualifiés, explique Hugues Defoy, directeur de pôle métier à l’Agefiph. De la découverte du métier ou d’un secteur d’activité, à la sélection des candidats sur les potentiels et sur la motivation, en passant par des remises à niveau préalables à la signature du contrat, nous avons de belles réussites dans les métiers du luxe, l’aéronautique, l’assurance ou encore les métiers de la propreté.” L’Agefiph verse d’ailleurs une aide financière aux employeurs qui recrutent par le biais du contrat de professionnalisation et d’apprentissage.

    “L’alternance permet ainsi de construire des réponses sur mesure à des emplois identifiés sur lesquels il n’est pas toujours facile de trouver des candidats qualifiés”

    En février dernier, l’association a ainsi lancé une campagne de communication destinée à promouvoir l’alternance (contrat d’apprentissage et de professionnalisation). La majorité des spécialistes de la question s’accorde pour dire que les dispositifs d’apprentissage doivent être adaptés aux spécificités des travailleurs handicapés. “Cette population a un niveau de qualification initiale plus faible que la moyenne. Près de 80 % des travailleurs handicapés n’ont pas le bac ou équivalent. C’est pourquoi il peut être intéressant de les adosser à des POE (préparation opérationnelle à l’emploi) qui leur permettent ainsi d’acquérir les savoirs de base”, note Antoine Dezalay, responsable qualité de vie au travail & diversité du groupe SOS. Et ce dernier de poursuivre : “dans la mesure où près de la moitié des travailleurs handicapés ont plus de 50 ans, il a été décidé qu’il n’y aurait pas de limite d’âge pour les recruter en alternance ou en contrat de professionnalisation”. En matière de formation continue, le groupe SOS s’efforce ainsi de rendre ses actions accessibles à tous. Cela nécessite de former à l’accueil de personnes en situation de handicap, mais aussi de proposer des supports accessibles (vidéos e-learning sous-titrées, etc.)

    Trop de démarches administratives

    Pourtant en dépit des bonnes volontés, personnes handicapées comme employeurs soulignent que les obstacles sont encore trop nombreux. “Il y a encore beaucoup trop de complexité administrative, en ce qui concerne notamment le montage des dossiers. Exemple : qui finance quoi ? Il faut des réponses simples. Il faut que les nombreux acteurs ne soient pas rebutés par ces complexités”, note Éric Blanchet. Le sociologue Serge Ebersold tire les mêmes conclusions. Selon le titulaire de la chaire accessibilité au Cnam, il y a encore une trop grande fragmentation de la gouvernance : “les instances, que ce soit l’État, les régions ou même l’Agefiph, ne créent pas assez de synergies entre elles”. À la question “à qui s’adresser pour être accompagné ?”, Karine Reverte ne passe pas par quatre chemins : “Il y a trop d’acteurs !” Pour tenter d’y voir plus clair, les personnes handicapées tout comme les employeurs peuvent prendre contact avec l’Agefiph, Pôle emploi, les Cap Emploi ou encore les Missions locales.

    “les instances, que ce soit l’État, les régions ou même l’Agefiph, ne créent pas assez de synergies entre elles”

    Quoi qu’il en soit, il est impératif d’avoir en tête qu’aucune entreprise ne recrutera un jeune handicapé s’il n’est pas compétent, et il est essentiel que les structures d’accompagnement mettent l’accent sur les compétences des personnes, par-delà leur particularité. “Le recrutement de salariés handicapés offre une forte valeur ajoutée au fonctionnement de l’entreprise. Cela permet de réfléchir à ce qui fait collégialité et d’appréhender, pour mieux la prendre en considération, toute forme de vulnérabilité autre que le handicap (problème cardiaque, burn-out, etc.)”, conclut Serge Ebersold. En somme, un bénéfice pour tous les salariés.

    Le quota de travailleurs handicapés, un nécessaire garde-fou 
     
    Le 15 février dernier, le gouvernement a lancé une concertation visant à améliorer l’accès à l’emploi aux personnes handicapées, et en tout premier lieu, la révision de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH). Les quotas, la fameuse règle des 6 % de travailleurs handicapés au sein des entreprises de plus de vingt salariés, sont-ils efficients ? La moyenne nationale des travailleurs handicapés dans les sociétés françaises plafonnant à 4 %, un grand nombre d’entreprises s’acquitte donc d’une contribution destinée à financer l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Pour Serge Ebersold, sociologue et titulaire de la chaire accessibilité au Cnam, ce quota des 6 % est largement débattu depuis un certain nombre d’années. “Bien évidemment, c’est un moyen de soutenir la formation professionnelle puisqu’elle est largement financée par les 6 %, donc par les entreprises qui ne respectent pas ce quota. Et si elles devaient l’atteindre, les financements pourraient être moindres, mais pas les besoins en formation”, explique-t-il. Pour Éric Blanchet, directeur de Ladapt, le constat est sans appel : “il faut simplifier, clarifier et revenir à l’essentiel”. Le système de contribution des 6 % doit être maintenu, sans adaptation ni exonérations possibles. “Il faut une lecture qui soit la même pour tous. Les exonérations, c’est terminé ! C’est le sens même du quota qui est dénaturé par toutes ces exonérations. Il faut aller vers l’emploi direct, il faut que les maisons départementales du handicap deviennent des acteurs de l’emploi, et pas seulement du social !”Sans surprise, ce sont les grosses entreprises privées qui sont les plus enclines à se rapprocher des quotas. Dans le secteur public, certaines administrations sont exemptées, comme l’Éducation Nationale qui recrute en contrepartie des auxiliaires de vie scolaire. De même, certaines entreprises préfèrent se conformer à la loi en sous-traitant à des entreprises “adaptées”, ou en nouant des partenariats avec des Esat (Établissement et service d’aide par le travail).
     
    Accessibilité des locaux, ne pas se tromper de combat 
     
    Si depuis le 1er janvier 2007, l’accessibilité aux locaux de l’entreprise est une obligation légale, beaucoup de spécialistes s’accordent à dire qu’il ne faut pas se tromper de combat. “L’accessibilité est nécessaire pour les personnes qui ont une déficience lourde : personnes à mobilité réduite, personnes non voyantes, personnes sourdes, explique Antoine Dezalay, responsable qualité de vie au travail pour le groupe SOS. Ces personnes représentent une petite minorité des travailleurs handicapés. La plupart des salariés en situation de handicap n’ont pas besoin de locaux spécifiques. Il faut ensuite rappeler que les nouvelles constructions doivent respecter de plus en plus de normes liées à l’accessibilité.”Les problématiques viennent souvent d’établissements anciens pour lesquels les architectes n’ont pas intégré cette notion dès la conception des bâtiments. Pour Karine Reverte, si l’accessibilité des locaux d’une entreprise n’est pas une condition sine qua non pour intégrer des personnes en situation de handicap, se poser la question lui semble toujours étrange. “On ne se pose pas la question lorsqu’il s’agit de respecter la loi dans le domaine de la sécurité des salariés. Pourquoi en serait-il autrement dès que l’on parle de l’accessibilité ?” s’interroge la directrice du CCAH (Comité national coordination action handicap). De son côté, Consuelo Bénicourt, directrice RSE de Sopra, entreprise spécialisée dans les services du numérique, voit dans l’accessibilité certes une priorité, mais n’en fait pas la seule problématique chez les salariés handicapés du groupe. “Il me semble que cela réside plutôt dans la manière dont nous mettons en place des mesures de compensation pour nos travailleurs handicapés. Ces mesures peuvent être techniques (loupe grossissante, bureau évolutif, etc.) ou organisationnelles (aménagement des horaires, télétravail, etc.)”, explique la responsable. Et de poursuivre : “ce sont également des mesures de compensation, proposées avec le concours de tierces personnes (tuteurs, coaches externes, psychologues du travail, etc.) ou des formations sur-mesure (par exemple lors d’un retour au travail après un arrêt maladie)”
     
    En décembre 2017, près de 510 000 demandeurs d’emploi handicapés (+ 4,7 % en un an) étaient inscrits à Pôle emploi, soit 8,6 % de l’ensemble des demandeurs d’emploi. 47 % des demandeurs d’emploi sont des femmes (+ 2 points en deux ans) tandis que 49 % d’entre eux sont âgés de 50 ans et plus (+ 2 points en deux ans).
    Les demandeurs d’emploi handicapés recherchent majoritairement (25 %) dans le secteur des services à la personne et à la collectivité. Vient ensuite le support à l’entreprise (15 %) ou le commerce, la vente et la grande distribution (11 %).
     
    Source : Emploi et chômage des personnes handicapées, bilan 2017, Agefiph.

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