• Handicap, priorité à l’emploi direct

    Handicap, priorité à l’emploi directArticle paru sur https://www.lenouveleconomiste.fr/ le 01/11/2018

    Nouvelle loi “Avenir professionnel” vise un objectif : inclure les travailleurs handicapés dans l’entreprise. Les décrets d’application sont attendus pour 2019.

     

    La loi “Avenir professionnel” a été adoptée en août dernier. L’un de ses volets concerne l’intégration par l'emploi des personnes handicapées. Pour y parvenir, les entreprises doivent adapter leur politique interne et attendent pour cela les décrets d’application prévus avant le printemps 2019.

     

    En France, on comptabilisait en 2015 431 000 travailleurs handicapés dans les entreprises privées sous contrat, et 240 000 dans le secteur public. Dans les PME/TPE, ils seraient quelque 260 000. Alors que handicap touche près de 10 % de la population en âge de travailler (soit 2,7 millions de citoyens), sa représentativité dans l’entreprise n’est pas du tout à la hauteur. Pour y remédier, les pouvoirs publics tentent depuis 1985 d’arriver à un taux d’emploi de 6 %, plus représentatif de la population française. Or, nous n’en sommes qu’à 3,4 % en emploi global. La route est encore longue vers un accès au travail pour tous ceux qui le souhaitent. En 2017, près de 500 000 personnes de cette catégorie étaient sans emploi, selon l’Agefiph.

    Partant de ce constat et poursuivant une vague de réformes de la législation qui entoure le travail entamée lors du précédent quinquennat, le gouvernement envisage d’inverser la vapeur et de créer de nouvelles opportunités pour ces actifs. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel adoptée en août dernier propose des mesures qui pourraient changer la donne pour les salariés et les entreprises.

    La généralisation de l’emploi accompagné est l’une des mesures phare du texte. Éric Blanchet, directeur général de Ladapt, association qui gère des missions d’insertion professionnelle depuis 30 ans et interlocuteur des pouvoirs publics sur le handicap, exprime la forte attente qui l’entoure : “c’est une loi qui doit réaffirmer que l’emploi direct des travailleurs handicapés est possible et souhaitable. 

    L’emploi accompagné est un levier qui avait émergé lors de la loi El Khomry. C’est un dispositif qui manquait jusque-là pour l’épanouissement de la personne, à côté des dispositions médico-sociales”.

    “La généralisation de l’emploi accompagné est l’une des mesures phare du texte”

    L’emploi accompagné offre au salarié un suivi sur le long terme par un référent handicap (dans toutes les entreprises de plus de 250 salariés), qui sera également l’interlocuteur de son employeur public ou privé. “Aujourd’hui, on peut déjà se féliciter de faire de l’emploi accompagné mais les entreprises expriment encore des peurs. Elles craignent d’entrer dans des dispositifs trop compliqués, se posent des questions sur la sécurisation de l’emploi et hésitent à se lancer dans l’aventure qui est pourtant une vraie richesse pour l’ensemble de l’entreprise, regrette Éric Blanchet. Par cette nouvelle loi, l’État doit convaincre les entreprises qu’il y a des facilitations possibles.”

    Parmi les “facilitations” proposées par la loi Avenir professionnel, la simplification de la déclaration d’emploi des travailleurs handicapés, qui passera par la déclaration sociale nominative (DSN) et la mise en place d’un partenaire unique, l’Urssaf ou la MSA.

    Hugues Defoy, directeur de la mobilisation du monde économique et social à l’Agefiph, estime aussi que la loi doit rassurer les entreprises et faciliter l’emploi et le maintien à l’emploi. “La loi va dans le bon sens, notamment via la création de référents handicap dans les entreprises.” La casquette du référent handicap, qui devient obligatoire par la nouvelle loi dans les entreprises d’au moins 250 salariés, sera portée par un membre de l’entreprise. Responsable des ressources humaines, chef d’équipe… les choses ne sont pas encore bien définies. La fonction apparaît également dans les centres de formations, type CFA. En entreprise, elle doit permettre de repérer et accompagner les salariés dans leur prise de poste ou le maintien de leur fonction après un accident ou une invalidité. “Il en existe déjà près de 6 000 dans les grands groupes où il y a une vraie politique en faveur de l’intégration du handicap au travail. À ceux-ci devraient s’ajouter environ 1 000 référents avec la réforme”, précise Hugues Defoy.

    Emploi direct en milieu ordinaire

    Le gouvernement souhaite donc faciliter l’intégration du plus grand nombre dans le milieu ordinaire. Félisa Blanco, directrice du Service Appui’S de l’Œuvre Falret qui aide à la réinsertion ou au maintien dans l’emploi de personnes handicapées psychiques, redoute le passage vers l’entreprise classique de certaines personnes handicapées travaillant dans des entreprises adaptées, évoluant dans un contexte extrêmement protégé en bénéficiant d’encadrement particulier. “Les référents handicap qui devront intégrer des personnes venant du milieu protégé seront démunis. Quand l’accompagnement s’arrête, on remarque qu’il y a de grande difficulté à maintenir certaines personnes en poste.” L’Agefiph prépare de son côté des formations pour une montée en compétences des futurs référents sans avoir encore de visibilité sur les moyens financiers qui y seront alloués.

    “L’Agefiph prépare de son côté des formations pour une montée en compétences des futurs référents sans avoir encore de visibilité sur les moyens financiers qui y seront alloués”

    La loi adoptée en août dernier doit être suivie de ses décrets qui préciseront les modalités d’applications. D’après le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, les premiers sont attendus “avant fin mars 2019”, une fois que les concertations auront abouti. Au sein des entreprises en milieu ordinaire, on a bien pris conscience de la nécessité de mieux embrasser le problème du handicap, mais ces décrets seront essentiels pour lever le mystère qui plane sur certains aspects, plus que centraux.

    Durcissement des accords agréés

    C’est le cas de la comptabilisation des emplois des personnes handicapées dans chaque entreprise. Jusqu’alors, l’obligation d’emploi de 6 % était comptabilisée en additionnant les emplois directs dans l’entreprise et les contrats passés avec des sous-traitants (Esat, entreprises adaptées et travailleurs indépendants), dans la déclaration d’obligation d’emploi de travailleurs handicapés. À partir de 2020, ce taux d’emploi global disparaît et les 6 % devront être atteints en tant que taux d’emploi direct. Reste à savoir comment l’emploi indirect, sous-traité, comptera dans la réduction de la contribution versée à l’Agefiph par les entreprises de plus de 20 salariés.

    “À partir de 2020, ce taux d’emploi global disparaît et les 6 % devront être atteints en tant que taux d’emploi direct”

    Pour celles qui bénéficient d’accords agréés en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés, la donne va également changer. Et peut-être compliquer la gestion interne. Le gouvernement souhaite en effet ces accords “plus exigeants”. S’ils sont aujourd’hui illimités dans le temps, leur durée sera limitée à trois ans renouvelable une seule fois afin de “constituer un réel outil d’amorçage à une politique RH favorable à l’emploi des travailleurs handicapés dans l’entreprise”, selon le secrétariat d’État en charge des personnes handicapées.

    L’agrément sera encadré par un décret également attendu avant le printemps, après concertation avec les partenaires sociaux et les associations. Responsable RH au sein de la coopérative Biocoop, Carole Picard est également devenue référente handicap. L’entreprise de distribution de produits labellisés bio en est à son quatrième accord handicap. “Nous sommes dans l’expectative. Nous savons que certaines Direccte [Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, ndlr] commencent à refuser les agréments en prévision des changements de 2020. Mais les inspecteurs du travail que nous rencontrons n’ont pas non plus toutes les réponses”, déclare-t-elle. Éric Blanchet, de Ladapt, attend aussi des précisions mais il est confiant dans la législation : “l’esprit de la loi est de dire aux entreprises ‘vous avez deux fois trois ans pour intégrer la dimension handicap avant d’entrer dans le droit commun’ ”.

    Des travailleurs handicapés qui s’ignorent

    La société Biocoop s’est fait accompagner par un cabinet de conseils RH pour le pilotage de la mission handicap. Des campagnes de sensibilisation sont programmées à destination du personnel pour mieux identifier les personnes en situation de handicap, un sujet restant parfois tabou. “On pense que certains travailleurs handicapés s’ignorent – comme les diabétiques –, d’autres le savent mais ne veulent pas le signaler soit par peur, soit parce qu’ils vivent bien leur handicap. La campagne vise à exposer que la déclaration travailleur handicapé est également un atout pour le salarié, qui peut bénéficier d’aménagement et d’un accompagnement pour mieux occuper son poste.”

    “La campagne vise à exposer que la déclaration travailleur handicapé est également un atout pour le salarié, qui peut bénéficier d’aménagement et d’un accompagnement pour mieux occuper son poste”

    Associations et entreprises sont unanimes : il est souhaitable que les personnes handicapées soient mieux accompagnées vers et dans l’emploi. Cependant, des moyens en accompagnement importants doivent être mis sur la table, dont on n’a pas encore idée.

    Entrepreneurs avant tout

    Parmi les travailleurs handicapés, près de 8 % sont des chefs d’entreprise. Didier Roche, créateur de sa première entreprise à 23 ans et aveugle depuis l’enfance, a créé avec des confrères entrepreneurs l’association H’UP qui accompagne les porteurs de projet, mais aussi les entrepreneurs voulant se développer, ou encore des entrepreneurs dont le handicap est survenu pendant l’activité. “Lorsque j’ai créé ma première entreprise, j’ai éprouvé des difficultés d’ordre bancaire, administratif, assurantiel,… On m’appliquait 30 % de surcoût, ou on me retirait la couverture en cas d’accident sous prétexte que j’étais handicapé.” Il se rend compte en 2007 qu’ils sont en France quelque 35 000 travailleurs handicapés indépendants. “On était autant à avoir avalé non pas des couleuvres mais… des baobabs !”, se dit-il à l’époque.

    Aujourd’hui, H’UP est installée dans six villes de France. “Souvent nous arrivons trop tard, après le dépôt de bilan, le divorce,… mais on leur propose un rebond grâce à un coach.” Coach, réseau des pairs, mécénat de compétences, les formules sont nombreuses pour les adhérents. L’association et son président tentent de se faire entendre dans les ministères et espèrent bien être à la table des discussions liées aux décrets d’application attendus visant l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Pour mettre la lumière sur les chefs d’entreprises indépendants, H’Up a remis fin octobre cinq trophées à des entrepreneurs “extra-ordinaires”, dont quatre femmes.

    Quelles obligations en tant qu’entreprise

    Tout employeur de plus de 20 ETP (équivalents temps plein) permanents doit remplir un certain nombre d’obligations dans le cadre de l’emploi des personnes en situation de handicap. La première est d’inclure des travailleurs handicapés à hauteur de 6 % de son effectif. Par la réforme, cette proportion pourra être revue tous les cinq ans. Si ce niveau d’embauche n’est pas atteint, l’entreprise verse une contribution à l’Agefiph en compensation. La contribution peut atteindre de 400 à 600 fois le Smic horaire par salarié handicapé manquant. Ce barème doit être revu par décret, selon le secrétariat d’État. Si l’entreprise n’adopte aucune mesure d’emploi de personne handicapée, alors cette contribution peut atteindre 1 500 fois le Smic horaire par personne handicapée manquante. L’entreprise doit mener des négociations avec les organisations syndicales relatives aux conditions d’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, ainsi que sur les conditions de travail et de maintien dans l’emploi des personnes handicapées.

    En parallèle, la lutte contre les discriminations doit faire l’objet de la plus grande attention des employeurs. Ils s’assurent de l’égalité de traitement en matière d’accès et de maintien dans l’emploi, ainsi que l’évolution des salariés handicapés. Il va de soi qu’il est possible de prendre des décisions de manière objective sur l’inaptitude d’un salarié à exercer une fonction en raison de son état de santé ou de son handicap. Dans ce cas, il est opportun de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour lui proposer une solution de maintien dans l’emploi. Il pourra alors quitter légalement l’entreprise s’il la refuse. La possibilité d’un reclassement sur un autre poste peut être discutée et refusée par le salarié.

     

    2,7 millions, tel est le nombre de personnes en âge de travailler (entre 15 et 64 ans) qui déclarent être bénéficiaires de la reconnaissance administrative d’un handicap ou d’une perte d’autonomie. Parmi celles-ci, 43 % sont considérés comme “active” : en emploi (35 %) ou au chômage (8 %).

    Source : “Les chiffres clés de l’aide à l’autonomie 2017”, CNSA

     


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