• Comment devenir une entreprise handi-accueillante

    Comment devenir une entreprise handi-accueillanteArticle paru le 16 janvier 2020 sur https://www.lenouveleconomiste.fr/

    Conseils et retours d'expériences pour intégrer au mieux un travailleur handicapé… et satisfaire la nouvelle obligation d'emploi direct

    Comment devenir une entreprise handi-accueillante

    Le recrutement des personnes handicapées constitue toujours un paradoxe. D’un côté, les personnes en situation de handicap, qui sont deux fois plus touchées par le chômage car confrontées à des ruptures de parcours, des manques de formation et des difficultés d’accès aux études supérieures. De l’autre, des recruteurs qui recherchent des profils diplômés – bac +2 à Bac +5, voire élitistes. Une dichotomie insurmontable ? Pas tant que ça. Il suffit de changer de regard sur le handicap et de miser sur la formation.


    La réforme de la loi sur le handicap, entrée en vigueur le 1er janvier dernier, renforce les obligations d’emploi de travailleurs handicapés dans les entreprises de plus de 20 salariés. L’obligation, qui existe depuis 1987, avait déjà été renforcée en 2005. Concrètement, les entreprises doivent dorénavant atteindre 6 % de travailleurs handicapés en emploi direct dans leurs effectifs. Il n’est plus possible de tenir compte de la sous-traitance aux Esat, entreprises adaptées ou travailleurs indépendants handicapés pour atteindre ce taux. Pour l’heure, les entreprises privées n’en emploient que 3,7 %. Pourtant le prix à payer est cher : les entreprises qui ne se plieraient pas à cette nouvelle obligation encourent une pénalité financière de 400 à 600 fois le Smic horaire par an et par personne manquante en fonction de l’effectif de l’entreprise (20 à 199 ; 200 à 749 ; 750 et plus). L’esprit de la loi ? Faire baisser le taux de chômage de ce public qui reste deux fois plus élevé que la moyenne nationale – on compte 515 531 demandeurs d’emploi handicapés fin 2018 avec 18 % de taux de chômage, vs 9 % pour l’ensemble de la population (source Insee et Pôle emploi).

    Passer la barrière des mots

    D’abord, il y a le poids des mots. La dénomination “handicap” renvoie invariablement à “une impossibilité de…”. “Le handicap fait peur, les entreprises pensent qu’elles vont perdre du temps ou que les travailleurs qui souffrent d’un handicap ne seront pas aptes à remplir leur mission” regrette Sylvain Couthier, dont l’entreprise ATF, spécialisée dans la gestion du cycle de vie des matériels informatiques et de téléphonie mobile professionnels, emploie 80 personnes handicapées sur un effectif de 145 salariés. Pour casser clichés et barrières, il n’hésite pas à envoyer ses techniciens informatiques qui ont un handicap chez ses clients. Les entreprises doivent elles aussi changer de regard et ne pas voir le handicap comme une contrainte mais comme une possibilité. “Les préjugés, comme ‘ça va être compliqué’ ou ‘il va être moins efficace’ sont tenaces. Or une personne handicapée a les mêmes compétences que ses voisins valides”, confirme Anne Pelletret, chef de projet chez Mission Handicap Assurance. Le handicap n’exclut ni le talent, ni la motivation. “Les entreprises doivent recruter sur la base de compétences plutôt que sur un niveau de formation ou de diplôme”, soutient Marlène Cappelle, déléguée générale de Cheops, réseau qui représente les Cap Emploi au niveau national.

    “Les entreprises doivent recruter sur la base de compétences plutôt que sur un niveau de formation ou de diplôme”

    La plupart des personnes handicapées sont en reconversion suite à un accident ou à une maladie survenus en cours de vie. Seuls 20 % des handicaps sont liés à la naissance. De fait, la définition est très large, et toute personne connaissant une difficulté à obtenir ou conserver un emploi en raison de l’altération d’une de ses fonctions motrice, sensorielle, cognitive, psychique ou d’une maladie chronique ou évolutive peut bénéficier du statut de travailleur handicapé. Cela peut prendre de multiples formes. Enfin, il faut savoir que 80 % des handicaps restent invisibles – troubles psychiques, reconnus comme handicap en 2005, maladies invalidantes, allergies… Ainsi, une personne ayant des problèmes de dos, du diabète, des difficultés auditives, une maladie chronique ou évolutive, peut être reconnue travailleur handicapé.

    Il est utile de sensibiliser les équipes dans les entreprises, recruteurs, managers et salariés, à ces différents handicaps. Chaque candidat étant libre d’évoquer son handicap, la question ne peut être posée lors de l’entretien. En revanche, lorsque celui-ci est visible, il est toujours possible d’aborder la question, en termes simples et respectueux de la vie privée de la personne, sous l’angle des besoins particuliers éventuels, comme celui de l’aménagement. “On est en droit de leur demander quelles restrictions ils ont pour travailler, comme le port de charges lourdes par exemple”, explique Sylvain Couthier.

    “On est en droit de leur demander quelles restrictions ils ont pour travailler, comme le port de charges lourdes par exemple”

    Une fois son handicap reconnu, le salarié pourra bénéficier de nombreux aménagements matériels ou organisationnels lui permettant d’améliorer ses conditions de travail, d’éviter l’inaptitude et de préserver sa santé. “Si l’entreprise répond à ces besoins, le salarié pourra être aussi efficace qu’un autre et s’épanouir dans son travail”, explique Elie Sic-Sic, cofondateur de Tell me the truffe, laboratoire d’expertise sur l’inclusion au travail. Cela permet ainsi à l’ensemble de l’entreprise d’améliorer ses résultats. Comme le stipulait le biologiste et généticien Albert Jacquard : “On ne parle pas d’être handicapé, mais d’être autrement capable”. “Il faut détecter en chacun leur habileté et leur confier les tâches adéquates, relève Laurent Colas, codirigeant d’Eno, entreprise qui fabrique des planchas haut de gamme et emploie 20 % de travailleurs handicapés mentaux. Une fois qu’ils les maîtrisent, ils les effectuent particulièrement bien car ils ont une capacité de concentration que d’autres salariés n’ont pas. Ils se laissent notamment moins perturber par leur environnement et sont très forts pour identifier les défauts dans les produits.”

    Chez Sterne, qui conçoit et réalise des articles médicaux à base de silicones, 20 % des salariés sont en situation de handicap. “Les travailleurs handicapés se sentent comme les autres car l’entreprise ne fait pas de différence dans les ateliers. Ils sont à égalité complète”, constate Jean-Claude Scardigli, codirigeant de l’entreprise.

    La passerelle de l’alternance et de l’intérim

    Comme dans tout recrutement, le challenge consiste à faire coïncider besoins des entreprises et compétences des travailleurs. “S’ils n’ont pas l’expérience demandée sur le métier, cela ne doit pas être un frein” relève Aurélie Hallouin, chargée de responsabilité sociale chez ADP (Automatic Data Processing), qui crée des solutions de gestion de capital humain. Il faut savoir que 24 % des employés handicapés ont une qualification niveau bac ou plus, et que près de deux tiers des demandeurs d’emploi handicapés ont un niveau de formation inférieur ou égal au CAP/BEP, selon l’Agefiph. “Il faut sensibiliser les entreprises sur l’atypisme de leurs CV qui présentent parfois des trous, qui peuvent s’expliquer par leur handicap ou par des périodes de chômage”, prévient Anne Pelletret.

    Pour contrecarrer le manque d’expertise et de compétences souvent opposé par les entreprises, l’alternance est la voie royale, notamment pour des demandeurs d’emploi en reconversion. “L’alternance est la clé de la réussite. Cela permet d’apprendre un métier, d’acquérir une expérience et de mettre un pied dans l’entreprise. Il est plus facile de démarrer dans une entreprise quand on a un diplôme et que l’on y a déjà passé 12 ou 24 mois”, justifie celle-ci. Son association Mission Handicap Assurance amène les travailleurs handicapés au niveau exigé par les entreprises d’assurance.

    “L’alternance est la clé de la réussite. Cela permet d’apprendre un métier, d’acquérir une expérience et de mettre un pied dans l’entreprise”

    Qui plus est, l’alternance permet de sensibiliser les managers et les équipes pour faire tomber les derniers préjugés et lever les principales craintes. ADP s’est pour sa part lancé dans leur formation. Grâce au partenariat qu’elle a noué avec Humando, filiale d’Adecco spécialisée dans la diversité, l’entreprise monte des sessions d’alternants porteurs de handicap. “On crée des programmes de formation grâce à notre propre réseau de formateurs. Il faut se focaliser sur le potentiel, le savoir-être et les aptitudes professionnelles, pas seulement sur les compétences. Ils sont là pour apprendre”, explique Aurélie Hallouin. À défaut de pouvoir employer tous les alternants par la suite, l’entreprise participe à leur formation, leur employabilité et leur réinsertion. Le travail temporaire constitue lui aussi un puissant levier d’insertion professionnelle. En janvier 2020, Handishare, qui emploie 30 travailleurs handicapés pour des missions de sous-traitance RH, gestion, achat et marketing pour de grands comptes comme EDF, Veolia, Seb, Schneider ou Adecco, a lancé Handishare Intérim pour que ses clients intègrent en direct les personnes handicapées en intérim. “Cela va dans le sens de la nouvelle loi qui insiste sur les emplois directs, relève Patricia Gros Micol. L’intérim permet de tester la personne sans prendre de risques et de voir que cela peut bien se passer.”

    Créer un environnement propice

    Pour prouver sa politique “handicap friendly”, ADP mentionne sur l’ensemble de ses offres d’emploi qu’elles sont accessibles aux personnes reconnues comme travailleurs handicapés. Et présente aux candidats dès les premiers entretiens les conditions dont ces derniers bénéficient. Objectif : briser les tabous et libérer la parole. “Nous voulons devancer les questions, mettre en avant les mesures de notre accord et montrer que ce n’est pas un sujet chez nous”, plaide Aurélie Hallouin.

    Parmi les principales mesures, l’aménagement de poste avec la venue d’un ergonome sur le lieu de travail, quatre jours supplémentaires d’absence par an et le maintien des cotisations retraite à taux plein pour les salariés à temps partiel. “Il faut améliorer leur quotidien de ces personnes pour qu’elles ne soient pas en difficulté de par leur pathologie” insiste Aurélie Hallouin. Cela n’empêche pas certains candidats de cacher leur handicap pendant l’entretien. “Certains mettent plusieurs semaines avant de nous faire savoir qu’ils ont le statut de travailleurs handicapés ou qu’ils veulent entamer des démarches de reconnaissance car ils se sentent assez en confiance pour le faire”, poursuit-elle.

    “Leur seule préoccupation doit être leur job. Tous les aspects matériels doivent être réglés en amont pour ne pas leur créer du stress supplémentaire”

    Sylvain Couthier l’a bien compris. Son entreprise ATF a mis en place un système de tutorat pour accueillir et accompagner les personnes handicapées. “Leur seule préoccupation doit être leur job. Tous les aspects matériels doivent être réglés en amont pour ne pas leur créer du stress supplémentaire. À mi-période d’essai, nous organisons un entretien où ils nous remettent leur rapport d’étonnement sur leur accueil et leur intégration.” Objectif : montrer qu’ils sont aussi importants que les autres salariés, et développer leur sentiment d’utilité et d’estime de soi.

    Charlotte de Saintignon

     

    Quel sourcing pour des candidats ? Il n’y a pas vraiment de porte d’entrée unique et réservée aux demandeurs d’emplois handicapés. Leur recrutement passe par les mêmes structures que pour le public valide, soit en premier lieu le Pôle emploi. Mais certains réseaux élargissent les possibilités, comme les structures Cap Emploi, spécialisée dans le handicap, les sites Internet et cabinets spécialisés, qui diffusent leurs offres auprès d’un public handicapé ou qui proposent des candidathèques spécialisées, ou les cabinets qui ont une expertise dans le recrutement de ces travailleurs.En termes de prestataire, c’est l’Agefiph, premier acteur institutionnel sur le handicap, qui reste le référent sur le marché. Son espace emploi est le premier site français consacré à l’emploi des personnes handicapées. Les organismes de formation spécialisés comme les centres de reclassement professionnel ou les centres de rééducation professionnelle ou accueillant du public handicapé peuvent être également des pistes à explorer, puisqu’ils diffusent des offres ciblées selon les formations dispensées. Les entreprises peuvent également se tourner vers les salons de recrutement 100 % en ligne comme Hello Handicap ou les forums de recrutement de travailleurs handicapés. Parmi eux, les “Mardis du handicap”, proposés par JobinLive, cabinet de recrutement spécialisé sur l’employabilité des personnes en situation de handicap depuis 2006, qui a organisé 34 journées de recrutement en faveur des personnes en situation de handicap en 2019 dans 13 villes de France. En amont de chaque journée, les équipes de sourcing de JobinLive présélectionnent des candidats sur les postes communiqués par l’entreprise, et le Jour J, ceux qui sont retenus sont accompagnés et coachés pour échanger, dans les meilleures conditions possibles, avec les recruteurs.

     

    Le nouveau jobboard de Ladapt pour recruter Profil’Screening, tel est le nom du nouveau site d’emploi dédié aux candidats en situation de handicap lancé par Ladapt. L’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, qui œuvre pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées et accompagne les employeurs dans leur politique handicap, fait évoluer ses outils d’aide au recrutement. Cette plateforme met en lien entreprises et demandeurs d’emploi en situation de handicap qui sont à la recherche d’un CDI, CDD, stage ou contrat d’alternance.Objectif : favoriser les rencontres entre les recruteurs et les 500 000 candidats en situation de handicap en recherche d’emploi. Les candidats, qui peuvent s’inscrire gratuitement sur le site, créent leur profil, consultent des offres, découvrent des entreprises et envoient directement leurs candidatures aux employeurs qu’ils souhaitent. Même chose du côté des recruteurs, qui peuvent publier des offres d’emploi, consulter les profils des candidats et mettre en avant leurs engagements sociétaux. Ladapt se doit d’agir comme un “passeur vers l’emploi, pour tous les chômeurs en situation de handicap, mais aussi les jeunes diplômés handicapés sortant des universités, des grandes écoles et découvrant les écueils de la recherche d’emploi avec un handicap”, relève Dominique Le Douce, directeur des actions associatives.

     

    988 000 des personnes en situation de handicap ont un emploi (sur 2,8 millions de personnes reconnues handicapées en âge de travailler)
    75 000 travaillent en indépendant 
    Source : Agefiph – juin 2019

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